Dans la presse en 2023

Défaillances Dépakine, Levothyrox… Des scandales à haute dose

Libération

Les affaires concernant des effets secondaires de médicaments éclatent régulièrement en France. De quoi s’interroger sur l’efficacité des moyens de surveillance de leur usage

Les scandales liés aux médicaments, une spécialité française ? Après l’affaire du sang contaminé puis celle du Mediator, on pouvait pourtant penser que des leçons avaient été tirées. Il n’en a rien été. Certes, des avancées ont été faites, sur la transparence des liens d’intérêts, sur la possibilité d’action de groupes devant la justice. Mais des scandales se sont poursuivis et d’autres continuent d’exploser.

D’abord la Dépakine. Voilà un médicament antiépileptique efficace mais dangereux, avec un risque élevé d’atteinte sur le fœtus (1) chez la femme enceinte. Dans ce dossier, toute la problématique a été de savoir à partir de quand le risque était connu et, en conséquence, à partir de quand les autorités sanitaires, tout comme l’industriel, devaient prendre les décisions qui s’imposaient. En 2016, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales fait le point sur les défaillances, détaillant les erreurs du fabricant Sanofi, mais aussi celles des pouvoirs publics. Et ce n’est qu’en juin 2018 que des mesures de protection sont prises, avec l’interdiction du produit aux femmes enceintes. Face à ces lenteurs, en février 2020, le juge d’instruction du volet pénal a mis Sanofi en examen pour «tromperie aggravée» et «mise en danger de la vie d’autrui». En novembre 2020, l’Agence nationale de sécurité des médicaments est mise en examen pour «blessures et homicides involontaires par négligence». En janvier 2022, l’association Apesac remporte la première action de groupe en matière de santé contre Sanofi, jugé responsable d’un manque de vigilance et d’information sur les risques de la Dépakine. L’affaire est loin d’être finie, non seulement en raison du nombre très élevé de victimes, mais surtout en raison de l’attitude de Sanofi qui refuse d’endosser toute responsabilité et donc d’indemniser les victimes.

Sourde oreille

Autre exemple : le Levothyrox, un médicament destiné à soigner les troubles de la thyroïde et utilisé chaque jour par plusieurs millions de personnes. Là encore, les autorités sanitaires ont fait le dos rond lorsque le fabricant, en l’occurrence le laboratoire allemand Merck, a changé en mars 2017 la forme galénique, c’est-à-dire ce qui accompagne la substance active. Des centaines, puis des milliers de personnes ont évoqué très vite des effets secondaires, mais circulez il n’y a rien à voir, les autorités ont fait la sourde oreille, estimant que tout cela n’était dû qu’à un phénomène psychologique, concédant juste «un problème de communication».

Devant cette incompréhension un tantinet méprisante, des victimes ont alors porté plainte contre Merck en mars 2019. En mars 2022, la Cour de cassation, rejetant le pourvoi de Merck, a expliqué que «lorsque la composition d’un médicament change et que cette évolution de formule n’est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l’exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d’information», pouvant «causer un préjudice moral». Toujours dans cette affaire, l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) a été mise en examen pour tromperie, en décembre. Presque une habitude pour elle.

Manque de compétences

Que déduire de ces échecs en série, sans parler même des effets graves de l’Androcur, ce médicament donné sans contrôle aux femmes souffrant d’endométriose ? Certains, comme l’épidémiologiste Catherine Hill, pointent un manque de compétences et d’expérience des responsables de l’ANSM. D’autres, comme le professeur Mahmoud Zureik, s’interrogent plutôt sur les moyens mis à disposition pour une surveillance efficace dans l’usage des médicaments. D’autres encore se questionnent sur les liens non assumés entre les pouvoirs publics et les industriels. En tout cas, tous notent que ce n’est pas la fatalité qui est la cause de ces scandales répétés.

(1) La Dépakine peut provoquer sur l’enfant à naître des atteintes physiques sur la colonne vertébrale (rares), ou des atteintes neurocomportementales. Selon un rapport du Sénat, 2 150 à 4 100 enfants souffriraient de malformations, et 16 600 à 30 400 de troubles neurodéveloppementaux.

Source : Libération, Eric Favereau