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Au Royaume-Uni, 20 000 bébés nés avec des difformités à cause d’une mauvaise information sur un médicament

Le Monde

Les scandales du NHS, le système de santé britannique, se succèdent mais ne se ressemblent pas. Après la publication, début avril, d’un rapport terrible sur les morts évitables de 201 bébés dans des maternités des Midlands, le Sunday Times a révélé, le 17 avril, qu’un médicament contre l’épilepsie à base de valproate de sodium était toujours administré aux femmes pendant leur grossesse sans avertissement adéquat, bien que le risque qu’il entraîne des malformations graves chez le fœtus soit signalé depuis cinquante ans.

Jusqu’à 20 000 bébés sont nés avec un syndrome d’autisme, des difficultés d’apprentissage ou des difformités physiques, après que leurs mères ont pris du valproate de sodium durant leur grossesse, depuis l’autorisation du médicament au Royaume-Uni, en 1973.

En France, dans l’affaire de la Dépakine, entre 16 000 et 30 000 enfants sont aussi nés handicapés. Mais le ministère de la santé a créé un fonds d’indemnisation dès 2016 et le fabricant Sanofi a été jugé responsable, en janvier, à la suite de la première action de groupe dans le domaine de la santé dans l’Hexagone (le laboratoire a fait appel). Rien de tel au Royaume-Uni, où les familles de victimes font encore face au silence du gouvernement Johnson.

Au début des années 1970, le corps médical britannique a encore en mémoire le scandale du thalidomide, un sédatif administré dans les années 1950 et 1960 aux femmes enceintes souffrant de nausées, mais entraînant de graves malformations des membres supérieurs et inférieurs des foetus. Environ 2 000 victimes sont répertoriées à l’époque. En 1968, à la suite d’une longue campagne médiatique menée par le Sunday Times , un fonds d’indemnisation est créé – il est alors abondé par le distributeur du médicament dans le pays.

« Paternalisme »

C’est dans la foulée de ce scandale qu’est créé le Comité de sécurité des médicaments (CSM) britannique. Il examine à plusieurs reprises, entre 1972 et 1973, la sécurité du valproate de sodium, après que le fabricant Sanofi a alerté sur de potentiels effets tératogènes – dangereux pour l’embryon – lors des essais cliniques sur les animaux. Mais les membres du CSM estiment que le risque est faible et choisissent de ne pas en avertir le public.

Citée par le Sunday Times , le docteur Rebecca Bromley, spécialiste en neuropsychologie à l’Université de Manchester, livre une analyse dérangeante : la décision du comité était « probablement influencée par le paternalisme de l’époque » . Il n’a pas semblé considérer la nécessité, « pour les femmes, d’avoir leur mot à dire, en étant pleinement informées sur leur traitement » .

Les premiers cas de bébés nés avec des déformations en lien probable avec la prise de valproate par leur mère sont signalés au début des années 1980. Le Journal of Paediatrics rapporte, en août 1980, le cas d’une petite fille née avec de sévères difformités, qui ne survit que dix-neuf jours. L’année suivante, le journal signale la naissance d’un petit garçon avec des déformations des pieds et de la colonne vertébrale. En 1983, un article du British Medical Journal , examinant les cas de quatre bébés nés avec des difformités physiques après que leur mère a pris du valproate, conclut que ces résultats « interrogent la pertinence d’administrer ce médicament à des femmes enceintes » .

Les autorités médicales réagissent à peine. Il est vrai que les médecins qui prescrivent les médicaments ne sont pas toujours ceux qui constatent les difformités chez les bébés, l’information circulant peu entre les professionnels. Le CSM décide enfin d’intervenir, dans le courant des années 1980, demandant à Sanofi d’alerter les médecins et les hôpitaux sur les risques du médicament. Mais il n’exige toujours pas l’information éclairée des patientes. Le Sunday Times relate l’histoire de Janet Williams, qui donne naissance à deux fils, en 1989 et 1991, tous deux affectés de difformités, sans avoir jamais été mise au courant des dangers du valproate, « à l’époque vous faisiez confiance aux médecins » , confie-t-elle.

Indifférence des médias et des autorités

Parcours similaire pour Patricia Alexander, à qui les médecins conseillent de continuer son traitement antiépileptique durant toutes ses grossesses. En 2000 puis en 2009, son fils et sa fille naissent avec des handicaps et des troubles autistiques; elle n’apprendra l’existence du lien avec le médicament qu’après leurs naissances. Le médecin avait aussi dit à Catherine McNamara, dont le fils est né en 2012 avec des mains déformées, qu’avec la prise du valproate pendant sa grossesse, « tout [allait] bien se passer » . Elle avait pourtant déjà donné naissance à deux enfants avec des difformités et avait explicitement demandé aux médecins s’il y avait un lien entre ces dernières et sa prise du médicament.

En 2009, un vaste essai clinique mené entre Etats-Unis et Royaume-Uni établit un lien direct entre le médicament et les difformités à la naissance, et les familles commencent à demander des comptes, tentent des actions en justice, mais elles butent sur l’indifférence des médias et des autorités. Ce n’est qu’à partir de 2017 que le ministre de la santé de l’époque, Jeremy Hunt, commence à prendre le sujet au sérieux. Une enquête indépendante sur les dégâts du valproate est lancée. En 2020, elle conclut à « la responsabilité morale » de l’Etat britannique à venir en aide financièrement aux familles.

Deux ans plus tard, rien n’a bougé : un fonds d’indemnisation n’a pas vu le jour, personne n’a été condamné en justice. Le pire, c’est que le valproate continue d’être prescrit à des femmes enceintes, assure le S unday Times , citant le cas de Patricia Alexander, qui s’est vu délivrer du valproate de sodium en janvier de cette année, « sans aucune notice ou avertissement à l’intérieur du paquet de tablettes ». Elles ont été délivrées par la pharmacie dans des boîtes blanches, pas les boîtes d’origine du fabricant – comportant, elles, les mises en garde sanitaires.

« Cette situation dépasse l’entendement. Ce médicament présente un risque majeur pour des patients et les ministres doivent agir immédiatement pour prévenir davantage de souffrances , a twitté l’ex-ministre Jeremy Hunt, désormais président de la commission parlementaire de la santé, en réaction aux révélations du Sunday Times. Il est temps d’interdire une fois pour toutes ce médicament pour les femmes enceintes. »

Retrouvez ici toutes les lettres de nos correspondants.

Source : Par Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante)

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