Logo apesac
Rechercher

Dépakine : sa toxicité transmise sur plusieurs générations ?

La Revue du Praticien

Prescrit dans l’épilepsie et les épisodes maniaques des troubles bipolaires, le valproate et ses dérivés – si administrés pendant la grossesse – sont associés à un risque de malformations et de troubles du neurodéveloppement chez le fœtus. Début janvier, Sanofi a été reconnu coupable d’un défaut de vigilance et d’information sur ces risques. Aujourd’hui, une étude suggère des effets indésirables transgénérationnels, chez les petits enfants des femmes exposées.

 

Début janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a estimé que le laboratoire Sanofi avait « commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information » concernant les risques tératogènes du valproate de sodium (Dépakine, Dépakote, Dépamide…). Commercialisé depuis 1967, ce médicament a fait l’objet d’avertissements concernant ses risques tératogènes dès le début des années 1980. Le tribunal a ainsi jugé qu’entre 1984 et 2006 le laboratoire n’avait pas suffisamment tenu compte du risque de malformations congénitales ; pour les troubles neurodéveloppementaux, dont la découverte a été plus tardive, la période considérée était réduite à 2001-2006.

Prescrit pour traiter l’épilepsie et les épisodes maniaques des troubles bipolaires, le valproate et ses dérivés (acide valproïque, valpromide et divalproate) sont en effet associés à un risque de malformations congénitales dans 10,7 % des cas et à un risque de troubles du développement dans 30 à 40 % des cas, lorsqu’ils sont administrés pendant la grossesse. C’est pourquoi, depuis 2015 et l’entrée en vigueur des nouvelles recommandations européennes, ils sont contre-indiqués pendant la grossesse (sauf si, dans le cas de l’épilepsie, il n’existe pas d’alternative thérapeutique appropriée) et chez les femmes en âge de procréer (sauf si les autres traitements sont inefficaces ou mal tolérés et que toutes les conditions du programme de prévention des grossesses sont remplies).

Cardiopathies, anomalies de fermeture du tube neural (notamment spina bifida), malformations de membres, rénales et fentes labiales ou palatines sont, entre autres, les malformations les plus fréquemment observées chez les enfants exposés in utero. Quant aux aspects neurodéveloppementaux, on note surtout un QI diminué, des difficultés d’apprentissage, des troubles cognitifs, des troubles du spectre autistique 5 à 6 fois plus fréquents et un risque légèrement augmenté (x 1,5) de troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Mais qu’en est-il d’une potentielle transmission transgénérationnelle de ces effets indésirables ? Suggérée par des études expérimentales, elle doit encore être étudié aux niveaux clinique et épidémiologique ; pourtant, ses implications sont lourdes…

Dans un article paru récemment dans le journal Birth Defects Research, des chercheurs français et britanniques rapportent les résultats d’une enquête conduite entre août 2017 et avril 2020 chez 108 sujets (de 90 familles) ayant subi des complications dues à l’exposition au valproate de sodium in utero (première génération) et qui étaient eux-mêmes parents. Les familles ont été identifiées au sein de l’association Apesac (Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant, créée en 2011 par l’une des auteurs de l’article), qui accompagne aujourd’hui plus de 2 000 familles dont au moins un enfant a eu des complications dues à l’exposition in utero à des anticonvulsivants (en majorité le valproate).

Les participants (85 femmes, 23 hommes) ont été interrogés sur la fréquence des malformations et des troubles neurodéveloppementaux chez leurs enfants (deuxième génération). Ils ont rapporté des malformations chez 23 % d’entre eux (43 sur 187) – dont 26 malformations des extrémités, 15 dysmorphies faciales, 10 malformations rénales/urologiques, 6 enfants atteints de spina bifida, 4 malformations cardiaques, 2 craniosynostoses et 2 fentes labiales ou palatines – et des troubles neurodéveloppementaux chez 44 % d’entre eux (82 sur 187), dont 3 enfants ayant un autisme ou des troubles du comportement, 41 troubles psychomoteurs, 16 problèmes de langage, 16 déficits d’attention et 5 retards mentaux. Seuls 88 enfants (47 %) n’avaient ni malformation ni trouble du développement.

Les résultats de cette enquête sont compatibles avec des recherches expérimentales qui suggèrent une transmission transgénérationnelle des effets indésirables du valproate. En effet, certaines expériences chez des souris ont montré que cette substance inhibe directement l’histone désacétylase, induisant une hyperacétylation des histones, une méthylation des histones et une déméthylation de l’ADN – des modifications épigénétiques au cours de l’organogenèse précoce de la souris qui provoquent des malformations congénitales. D’autres travaux ont montré que les troubles du spectre autistique induits chez la souris par le valproate peuvent être transmis épigénétiquement, au moins jusqu’à la troisième génération.

Malgré les limites inhérentes à ce type d’enquête, puisque le caractère déclaratif excluait la corroboration des diagnostics (cela étant, les malformations reportées ont vraisemblablement été diagnostiquées par un médecin, notent les auteurs), ses résultats plaident pour la nécessité de mener des études de pharmacoépidémiologie pour explorer les potentiels effets indésirables transgénérationnels de ce type de médicaments, et, le cas échéant, d’informer les personnes qui y ont été exposées in utero sur ces risques. Et ce d’autant plus que cette série de cas ne décrit que les malformations et troubles développementaux des descendants des personnes ayant subi des effets indésirables graves liés à l’exposition au valproate, sous-estimant peut-être le risque pour les descendants de sujets qui, bien qu’exposés au valproate, n’ont pas eu eux-mêmes d’effets indésirables graves…

Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Martin M, Hill C, Bewley S. Transgenerational adverse effects of valproate? A patient report from 90 affected families.  Birth Defects Reaseach & Wiley 5 décembre 2021.

Adhésion & don

Vous souhaitez soutenir l’APESAC ?

Pour adhérer et/ou faire un don à l’association, cliquez sur le bouton ci-dessous.  

Articles à la une

Dépliant de l'APESAC

miniature depliantV2