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La Suisse compte beaucoup plus de victimes de la Dépakine

Tribune de Genêve, le 09 janvier 2021

Une étude, coréalisée par le CHUV, à Lausanne, suggère que le rapport sur la crise sanitaire liée à cet antiépileptique est incomplet. La balle est dans le camp des politiques.

Les épileptiques utilisent la Dépakine pour éviter les crises. Mais ce médicament est dangereux pour les femmes enceintes.
Les épileptiques utilisent la Dépakine pour éviter les crises. Mais ce médicament est dangereux pour les femmes enceintes.
Voisin/Phanie/AFP

«La Suisse compte vraisemblablement beaucoup plus de victimes de la Dépakine. Notre vision de la situation est aujourd’hui incomplète», déclare la pharmacienne vaudoise Alice Panchaud. Fin 2019, le Conseil fédéral avait publié un rapport pour établir l’état des lieux. Réalisé par Swissmedic, ce document reconnaît 39 malformations ou retards psychiques provoqués par cet antiépileptique entre 1990 et 2018. Le dernier cas annoncé remonte à 2014: il n’y en aurait plus après cette date.

Ce bilan n’est désormais plus à jour, selon la chercheuse. L’étude qu’elle vient de copublier dans la prestigieuse revue «Swiss Medical Weekly» suggère que le nombre de malades serait beaucoup plus élevé que cela.Plusieurs cas dateraient de 2018.

«La Suisse compte vraisemblablement beaucoup plus de victimes de la Dépakine. Notre vision de la situation est aujourd’hui incomplète.»

Alice Panchaud, pharmacienne vaudoise et chercheuse.

«Ces résultats ne m’étonnent pas. Nous avons toujours pensé que les chiffres de Swissmedic étaient sous-évalués», réagit Natascha Allenbach. Cette mère qui vit en famille à Écublens (VD) a trois enfants. Son fils né en 2001présente des troubles liés à la Dépakine. Elle s’en est renducompte a posteriori et estime que Sanofi-Aventis, le fabricant français du médicament, ne l’a pas informée des risques. Son fils a ouvert une action au civil à Genève. D’autres victimes ont aussi fait appel à la justice (lire encadré).Nous avions déjà évoqué le combat de ces familles romandes.

Effets tératogènes

La Dépakine doit être prescrite avec précaution. Les épileptiques l’utilisent pour éviter les crises. Les personnalités bipolaires en prennent pour stabiliser leur humeur. Le médicament soulage, mais il est dangereux pour les femmes enceintes.

«Ces résultats ne m’étonnent pas. Nous avons toujours pensé que les chiffres de Swissmedic étaient sous-évalués.»

Natascha Allenbach, une des plaignantes.

Sa substance chimique, le valproate de sodium ou l’acide valproïque, peut avoir des effets tératogènes, c’est-à-dire affecter l’embryon. Dans 30 à 40des grossesses, les enfants présentent des troubles du comportement (autisme, etc.). Dans 10des cas, des malformations (syndrome valproate fœtal, etc.). Les conséquences sont irrémédiables.

La dangerosité ne peut plus être ignorée aujourdhui. Mais cette reconnaissance a pris du temps. La Dépakine a été commercialisée en 1967 en France, avant de se diffuser dans le monde entier. Les premiers soupçons tératogènes datent des années 1990, puis s’intensifient dans les années 2000. Ce n’est que bien plus tard, pourtant, que les indices de précaution d’utilisation s’imposent. En 2015, les autorités renforcent la mise en garde auprès des médecins.

Combien de familles touchées?

Le premier et le troisième enfant de Natascha Allenbach se portent bien. La maman a pris de la Dépakine uniquement durant sa deuxième grossesse. Elle dit que personne (médecin traitant, fabricant, État) ne l’a mise en garde. Elle a découvert les risques courus par son deuxième enfant par hasard grâce aux médias, comme beaucoup d’autres parents en Suisse. Combien de familles sont touchées? C’est pour répondre à cette question posée au parlement que le Conseil fédéral a demandé un rapport sur le médicament controversé.

Natascha Allenbach, une des plaignantes romandes dans l’affaire de la Dépakine. Son fils, né en 2001, présente des troubles liés à ce médicament.
Natascha Allenbach, une des plaignantes romandes dans l’affaire de la Dépakine. Son fils, né en 2001présente des troubles liés à ce médicament.
Yvain Genevay / Le Matin Dimanche

L’étude coréalisée par Alice Panchaud donne des résultats différents de ceux de Swissmedic. Pour y arriver, la pharmacienne a travaillé pour le compte dCHUV, en collaboration avec des collègues bâlois, bernois et zurichois. Les données de base ont été extraites des fichiers 2014-2018 de l’assurance privée Helsana qui couvrent 15de la patientèle en Suisse. Les chiffres ont ensuite été extrapolés à l’échelon national.

Des milliers de femmes enceintes

Les découvertes sont étonnantes. Malgré les risques qui sont connus et les précautions qui sont à prendre, 80 femmes enceintes ont quand même reçu du valproate de sodium sur ordonnance jusqu’à leur accouchement entre 2014 et 2018.

Par ailleurs, une cinquantaine de mères n’ont arrêté d’en prendre qu’après avoir appris leur grossesse. Ce qui n’élimine pas le danger, puisqu’une prise uniquement pendant les premières semaines de la grossesse est déjà hautement à risque pour le fœtus.Il y a plus impressionnant encore. Des milliers de femmes en âge de procréer (15-45ans) ont pris de l’acide valproïque durant ces cinq années. Le total diminue avec le temps, mais légèrement seulement (lire graphique).

Alice Panchaud explique que les médecins prescrivent encore trop de valproate. Le risque est trop grand si elles tombent enceintes. En 2018, l’Agence européenne des médicaments a interdit la prescription du valproate aux femmes en âge de procréer. Sauf exception, comme dans certains cas aigus dépilepsie. Pour le reste, «des alternatives au valproate existent», assure Alice Panchaud.

Les limites de la pharmacovigilance

Swissmedic est le gendarme national de la santé. Il traque les effets secondaires des remèdes puis informe les médecins. Pour débusquer les défauts, il fait appel au système des annonces spontanées, appelé pharmacovigilance. C’est sur cette base qu’il a produit son rapport sur la Dépakine. «Notre étude montre que le système actuel de pharmacovigilance a atteint ses limites dans ce type de situation», détaille Alice Panchaud.

«Le système actuel de pharmacovigilance a atteint ses limites.»

Alice Panchaud

Elle ajoute que les renseignements sur les effets secondaires transmis aux médecins passent mal. Trop d’info tue l’info. Les praticiens seraient ainsi submergés par les mises en garde qui changent sans arrêt et peineraient à actualiser leurs connaissances. Raison pour laquelle certains d’entre eux auraient continué à prescrire de la Dépakine.

Alice Panchaud, chercheuse et pharmacienne vaudoise .
Alice Panchaud, chercheuse et pharmacienne vaudoise .
DR

Lukas Jaggi n’est pas de cet avis. Contacté, le porte-parole de l’agence fédérale estime que le corps médical est bien informé et qu’il reste responsable du contenu des ordonnances. Le communicant dit ne pas connaître l’existence de cette nouvelle étude, mais veut rapidement la consulter. Selon lui, le système de veille fonctionne. Les chiffres sont régulièrement mis à jour: quatorze nouveaux cas Dépakine ont ainsi été annoncés depuis le rapport de 2019. Et certains datent de 2017.

Un fonds d’indemnisation

L’étude d’Alice Panchaud n’est qu’une première étape. Des recherches supplémentairessur la base des statistiques existantes des assurances privées, permettraient de préciser le nombre de victimes. Le rapport du Conseil fédéral pourrait-il être rouvert? Swissmedic répond que non. En revanche, une demande d’actualisation des données officielles pourrait être faite à Berne.

La balle est désormais dans le camp de la politique fédérale. La Commission de la santé du Conseil national s’est déjà penchée sur le problème sanitaire de la Dépakine en Suisse. Sa présidente, Ruth Humbel (AR/Le Centre), raconte que le rapport fédérala été discuté en début d’année dernière, juste avant la crise du Covid. La création d’un fonds d’indemnisation a été abordée. Tout comme celle d’un registre national de prescription du médicament, qui permettrait de renforcer le contrôle du travail des médecins.

La présidente de la commission assure que toutes ces questions seront abordées prochainement en commission. Contactée, Sanofi-Aventis dit ne pas pouvoir commenter une étude qu’elle ne connaît pas.

 Source : TDG, par 

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