Dans la presse en 2020

Scandale du médicament Dépakine : la justice reconnaît la responsabilité de l’Etat

LE MONDE 02 Juillet 2020

 

C’est avec un mélange de satisfaction et de colère que les représentants des familles d’« enfants Dépakine » ont accueilli, jeudi 2 juillet, la décision du tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) reconnaissant pour la première fois la responsabilité de l’Etat dans ce dossier. Selon les dernières études publiées en juin 2018, entre 16 000 et 30 000 enfants se sont retrouvés handicapés après avoir été exposés in utero à l’acide valproïque contenu dans des antiépileptiques comme la Dépakine.

Si les familles ont fait part de leur satisfaction, c’est parce que l’Etat est pour la première fois condamné à indemniser trois familles dont les enfants sont lourdement handicapés après avoir été exposés in utero à la Dépakine. Les indemnisations s’élèvent environ à 290 000 euros, 200 000 euros et 20 000 euros par famille, suivant la date de naissance des victimes. « C’est une très grande victoire, mais cette responsabilité de l’Etat ne faisait aucun doute, elle figurait déjà dans un rapport de l’inspection générale des affaires sociales, et avait été reconnue par le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicalement lui-même », estime Marine Martin, la présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), qui représente 7 500 victimes.

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Le tribunal a fixé la part de responsabilité de l’Etat entre 20 % et 40 %, « en fonction de la date des grossesses en cause ». Dans un communiqué, il fait valoir que « l’Etat a manqué à ses obligations de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées et a engagé sa responsabilité » en ne s’assurant pas que le laboratoire Sanofi, qui commercialise ce médicament depuis 1967, mette correctement en garde les femmes enceintes sur les notices.

Les médecins prescripteurs et le laboratoire Sanofi se voient reconnaître dans des parts variables la responsabilité restante. « Cette décision vient dire quelle est la répartition des rôles et la charge d’indemnisation de chaque partie, cela va obliger Sanofi à venir s’asseoir à la table des négociations et à assumer sa part d’indemnisation », explique Charles Joseph-Oudin, l’avocat des familles.

Une « décision en demi-teinte »

 

Si les familles envisageaient, jeudi, de faire appel de la décision du tribunal, c’est parce qu’elles contestent le caractère restrictif de cette décision, les enfants nés avant 2004 n’étant pas indemnisés de la même façon que ceux nés après cette date. Dans sa décision, le tribunal estime qu’à partir de 2004, l’information contenue dans la notice était « insuffisante » s’agissant du risque de troubles neurodéveloppementaux « au regard de l’obligation d’information en matière de risques liés à la prise de ce médicament ». Autrement dit, ce n’est qu’à partir de cette date que le laboratoire aurait dû avertir clairement les femmes malades sur ce risque.

Une lecture que conteste vigoureusement Marine Martin, et qui fait, selon elle, de la décision de la justice administrative une « décision en demi-teinte ». Pour elle, « mettre 2004, c’est une aberration. On savait dès 1982 pour les malformations congénitales et des cas d’autisme avaient été signalés à la pharmacovigilance dès 1984, cela a même été inscrit dans la loi de finances 2019 prévoyant les mécanismes d’indemnisation ». Dans un communiqué, son association, l’Apesac, estime que ce « curseur de 2004 élimine de fait 80 % des dossiers de victimes qui ne seront jamais indemnisées pour ce pôle de préjudice ».

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« Nous ne laisserons pas passer ce raisonnement de dire que c’est à partir de 2004 qu’il existe un signal de risque », ajoute Charles Joseph-Oudin. Alors que 520 dossiers liés à la Dépakine sont en cours de traitement à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), et que 1 400 sont en cours de constitution, Charles Joseph-Oudin se veut rassurant. « Ces questions relatives à la faute de l’Etat sont sans influence sur les dossiers actuellement en cours de procédure à l’Oniam, qui est toujours tenu d’indemniser les familles dont les grossesses ont débuté après le 1er janvier 1984, comme le prévoit la loi. » L’Oniam a déjà proposé un total de 6,5 millions d’euros d’indemnisations aux victimes de la Dépakine.

Sanofi, qui a toujours soutenu avoir respecté ses obligations, a par ailleurs été mis en examen en février pour « tromperie aggravée » et « blessures involontaires » après le dépôt de 42 plaintes de familles. Le laboratoire est également au cœur d’une vingtaine de procédures au tribunal judiciaire de Nanterre.

Dans une étude publiée en juin 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) avaient calculé qu’à l’âge moyen de 3,6 ans, les enfants dont la mère avait pris un antiépileptique à l’acide valproïque au cours de la grossesse présentaient un risque quatre à cinq fois plus élevé d’avoir un diagnostic de « troubles mentaux et du comportement » précoces (avant l’âge de 6 ans) que les autres enfants.

 

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Source : Le Monde, par François Béguin