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Quand les laboratoires pharmaceutiques courtisent la gendarmerie

Le Point 

Un partenariat entre l’industrie pharmaceutique et l’Office central de lutte contre les atteintes à la santé publique sème le trouble… 

 

La question du lobbying des laboratoires pharmaceutiques auprès des services de l’État va animer les débats des prochaines semaines au procès du Mediator. Les associations de victimes et leurs avocats estiment en effet que c’est en raison de liens (trop) étroits que le groupe Servier a noués avec les experts, mais aussi avec les décideurs de l’Agence du médicament, que ce dérivé d’amphétamine a pu être mis sur le marché et, surtout, rester commercialisé pendant trente ans, causant la mort de milliers de personnes (la Caisse nationale d’assurance maladie évalue à environ 2 000 le nombre de décès directement imputables à ce produit dont la dénomination générique est le benfluorex).

Cette question du lobbying se repose aujourd’hui avec acuité à la faveur de la signature d’un partenariat entre l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), d’une part, et un groupement de laboratoires pharmaceutiques, d’autre part. Cette alliance entre le département de la gendarmerie nationale chargé d’enquêter sur les dossiers sanitaires et le G5 Santé, qui se présente comme le « porte-voix des industries de santé françaises » (et rassemble les sociétés bioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Théa), a pour objet la lutte contre la contrefaçon de médicaments.

Coopération contre la contrefaçon

L’accord, signé le 9 janvier dernier, officialise une coopération qui vise, depuis plusieurs années, à « lutter plus globalement contre le crime pharmaceutique et diagnostique », indique Didier Véron, président par intérim et porte-parole du G5 Santé. « C’est un véritable enjeu de santé publique », argue-t-on du côté de la gendarmerie, où l’on souligne que les faux médicaments causent, chaque année, des centaines de milliers de morts à travers le monde. « La convention conclue entre l’Oclaesp et le G5 s’inscrit clairement dans la volonté du ministère de l’Intérieur de développer une politique de coproduction de sécurité avec des partenaires privés », évoque la cellule communication de la gendarmerie.

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« Le trafic de produits de santé contrefaits, dont celui de médicaments, est dix à vingt fois plus rentable que le trafic d’héroïne, selon Interpol », souligne le communiqué publié pour présenter cet accord. Des moyens importants de renseignements sont utiles pour combattre les organisations mafieuses qui, dans ce domaine, ont mis en place des réseaux structurés à l’échelon européen. « Les grands groupes pharmaceutiques français sont dotés de départements de détection de fraude et nous avons tout à gagner d’un échange d’informations avec eux », évoque une source gendarmique. Il n’empêche que cette alliance passe mal du côté des victimes du Mediator comme de celles de la Dépakine.

Vives protestations

« L’idée d’un partenariat entre les entreprises pharmaceutiques et les services de la gendarmerie spécialisée est proprement hallucinante », proteste l’avocat des victimes du Mediator, Charles Joseph-Oudin. « Comment imaginer un partenariat entre les laboratoires Servier et l’Oclaesp alors que les gendarmes ont enquêté et permis le renvoi des laboratoires Servier devant le tribunal correctionnel pour un scandale de santé publique majeur ? » poursuit-il.

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Maître Joseph-Oudin rappelle que l’Oclaesp est chargé de l’enquête pénale sur la Dépakine : un antiépileptique du laboratoire Sanofi, accusé d’entraîner de graves malformations, des retards intellectuels et des problèmes mentaux chez les enfants exposés, mais aussi les bébés dont la mère a consommé ce produit pendant sa grossesse. « Ce partenariat rappelle des heures sombres du fonctionnement de l’Agence du médicament dans laquelle siégeaient des représentants des laboratoires… Ce mélange des genres entre gendarmes et industriels est inadmissible », tacle l’homme de loi. « Ce qui est en jeu, c’est l’indépendance des enquêteurs, une indépendance qui est aujourd’hui menacée par l’entrisme des laboratoires », surenchérit un médecin qui a eu à se pencher sur les deux dossiers du Mediator et de la Dépakine.

Une galette des Rois qui tombe mal

« Les divisions chargées des investigations sont bien distinctes du pôle prospective, chargé de ce partenariat. Et, faut-il le rappeler ? Les officiers-enquêteurs sont placés sous l’autorité de magistrats indépendants », émet un haut gradé de la gendarmerie, dans l’espoir de calmer les inquiétudes. Le fait que les membres des deux entités aient « tiré les rois » ensemble, le 9 janvier, n’est cependant pas de nature à apaiser les esprits. « On a clairement l’impression que les laboratoires essayent d’amadouer les services d’enquête en se rapprochant d’eux », émet un ancien militaire, qui regrette que son ancienne maison ait ainsi compromis son image. « J’ai le sentiment que la gendarmerie n’a pas tiré tous les enseignements de l’affaire Mediator », regrette un autre.

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Interrogé sur le fait de savoir si une rencontre avait eu lieu entre gendarmes et cadres des laboratoires, à l’occasion de l’Épiphanie, Didier Véron nous a écrit qu’« il n’y a[vait] pas eu de galette des Rois organisée pour la signature de cette convention […] chez Ipsen ». Le Point est en mesure d’affirmer qu’il y a pourtant bien eu un cocktail, ce jour-là, auquel ont participé des représentants des laboratoires et des officiers de gendarmerie. Il est vrai que ce pot n’a pas eu lieu au siège du laboratoire Ipsen, mais au quartier général de l’Oclaesp, au fort de Montrouge.

Comment interpréter ce demi-mensonge ? Traduit-il le fait que le G5 Santé entretient des arrière-pensées inavouables en approchant la gendarmerie ? Ou trahit-il la conscience, chez le président de cette association, que ce genre de rapprochement tombe mal à l’heure du procès du Mediator et de l’enquête sur la Dépakine ? Du côté de la gendarmerie, on relativise. «  Trois cents personnes ont participé à cette galette des Rois qui accompagnait les vœux de l’état-major de l’Office central. Les représentants des laboratoires y étaient très minoritaires », pointe un témoin. « Si l’on peut comprendre l’utilité d’une coopération entre public et privé sur la question des trafics de faux médicaments, les industriels du secteur pharmaceutique n’en doivent pas moins faire attention au signal qu’ils envoient en participant à de tels événements », émet Jean-Pierre Thierry, médecin-conseil de France Assos Santé, qui représente patients et usagers du système de santé. Les porte-parole des laboratoires doivent également faire attention à leur communication. La confiance du public est à ce prix.

 

Par Baudouin Eschapasse, Le Point

  

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