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Pourquoi la loi « secret des affaires » nourrit des craintes sur la liberté d’informer

Le JDD

La proposition de loi « secret des affaires » a été définitivement adoptée jeudi à l’Assemblée nationale. Journalistes, lanceurs d’alerte et ONG continuent de protester contre ce texte.

La confidentialité des informations des entreprises va bientôt être renforcée. La proposition de loi sur le « secret des affaires », qui vise précisément à « protéger les entreprises contre le pillage d’innovations (et à) lutter contre la concurrence déloyale », a été votée définitivement jeudi à l’Assemblée nationale par 61 voix contre 21. Le Sénat devrait en faire de même la semaine prochaine. Si la majorité, appuyée par la droite, a salué un texte « équilibré », la gauche, des médias et des associations jugent au contraire qu’il s’agit d’une menace sur la liberté d’informer. Une fois son application, la loi ne s’appliquera pas uniquement aux secteurs concurrentiels qui sont en cause mais à tous, y compris journalistes, lanceurs d’alerte ou ONG. Explications.

Un an et demi de vifs débats

Ce texte sur le secret des affaires a plusieurs fois échoué à être adopté au Parlement. Le dernier remontait à 2015, dans le cadre de la loi Macron. Le ministre de l’Economie lui-même s’était rétracté en acceptant de préciser que ce projet ne devrait pas s’appliquer à la presse et aux lanceurs d’alertes. Emmanuel Macron élu à l’Elysée, ce chantier a été rouvert par le biais d’une directive européenne adoptée en juin 2016 et qu’il s’agissait pour la majorité de transposer. La mobilisation des opposants a donc été relancée ces derniers mois, à coups de pétitions et de tribunes : encore mercredi, plus d’une centaine de rédactions, d’ONG et de journalistes ont appelé Emmanuel Macron à modifier « un outil de censure inédit ».

Pour Paul Moreira, producteur de l’émission Cash Investigation diffusée sur France 2, le problème se pose pour les lanceurs d’alertes : « Ils ne pourront plus exercer leur métier convenablement. Si dès le premier coup de fil, vous souhaitez vérifier une information auprès de la boîte et qu’elle peut vous attaquer en justice car vous avez eu des informations privées, plus personne ne prendra ce risque et les escroqueries pourront se faire en toute impunité », explique-t-il au JDD. Cette loi revient en fait à considérer que les journalistes sont une concurrence pour les entreprises, estime de son côté Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ (Syndicat national des journalistes) et rédactrice en chef à France Télévisions. Or, « les journalistes et les lanceurs d’alertes ne sont pas des espions! », explique-t-elle.

Une « catastrophe pour les journalistes indépendants »

Des inquiétudes qui ont été rejetées par le gouvernement. « L’objectif n’est certainement pas de restreindre la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte, de donner des armes supplémentaires contre la liberté de la presse ou de réinstaurer une forme de censure a priori du juge, abolie en 1881 », a objecté à l’Assemblée la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Fustigeant « beaucoup de désinformation », le député de la République en marche (LREM) Raphaël Gauvain,  rapporteur du texte, a martelé que celui-ci « ne pourra pas être appliqué aux journalistes, lanceurs d’alerte ou représentants du personnel ». L’élu, avocat de formation, a vanté « un nouveau dispositif pour protéger plus efficacement journalistes et lanceurs d’alerte dans le cadre de procédures dites bâillon », avec une amende civile, que le Sénat souhaitait initialement supprimer. « Sans notre loi, un industriel a attaqué un journaliste de France 2 pour violation du secret des affaires, avec notre disposition, le juge aura la possibilité de sanctionner une entreprise pour procédure abusive », a-t-il plaidé. Jeudi avant le vote, des modifications pour la procédure suivant laquelle un juge peut décider de mesures particulières de protection ont été ajoutées.

Ces gages n’ont pas calmé l’opposition. Dans l’hémicycle, le député insoumis François Ruffin a ainsi fustigé « une arme juridique de plus aux multinationales » et a accusé la majorité d’avoir « choisi l’argent contre les gens » : « Servier contre Irène Frachon, Sanofi contre Marine Martin, Clearstream contre Denis Robert, Vincent Bolloré contre Jean-Baptiste Rivoire (…) Monsanto contre Marie-Monique Robin… ».

Le producteur Paul Moreira évoque lui aussi « un outil pour endommager le travail des journalistes et des lanceurs d’alertes » : « Si l’on donne le moyen aux entreprises d’attaquer en justice plus fréquemment et dès le début des enquêtes, c’est une catastrophe pour les journalistes indépendants. Ces grosses boîtes nous attaquent déjà à la moindre occasion en sachant qu’elles vont perdre le procès, tout simplement pour nous causer des dégâts financiers qui ne nous seront jamais remboursés ensuite. » « Si les députés étaient de bonne foi, ils auraient accepté l’amendement proposé limitant la loi au secteur concurrentiel », dénonce Dominique Pradalié de la SNJ. L’une des dernières chances des opposants pour faire barrage au projet sera la saisie du Conseil constitutionnel, d’ores et déjà envisagée par des élus.

Source : le JDD 

 

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