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Un colloque sur le drame de la Dépakine

Libération 

Plongée dans un colloque à l’Assemblée nationale consacré aux dégâts gigantesques causés par cet antiépileptique, prescrit pendant des années à des femmes enceintes. 

C’est toujours une ambiance particulière lors des journées de l’Association d’aide aux victimes de la Dépakine et autres antiépileptiques (Apesac). Même si cette année, elles se sont tenues dans un amphi très formel de l’Assemblée nationale. Une ambiance particulière, parce que cette catastrophe, qui est tombée sur ces femmes, alors enceintes, pour avoir pris cet antiépileptique, les a plongées dans un univers d’incompréhensions, de malheurs, mais les a aussi unies dans une solidarité chaude et combative.«On a tous vécu le même isolement, puis la même stupeur», a l’habitude de dire la présidente de l’Apesac, Marine Martin. Pour ce colloque, elle est là, comme à son habitude, courant de tous côtés, omniprésente avec ses longs cheveux. Elle accueille les uns comme les autres. Son mari a la tâche, lui, de photographier les participants. Ce samedi matin, ils ont fait une course au parc Montsouris à Paris, pour collecter de l’argent, avant de se rendre à ce colloque, où l’on devait apprendre les derniers chiffres de ce drame sanitaire qu’a constitué pendant près de cinquante ans la prise de valproate de sodium (1) par des femmes enceintes. Soit pour soigner leur épilepsie, soit pour les troubles de l’humeur. On a découvert, en effet, que non seulement la prise de cette molécule pouvait provoquer des malformations physiques sur le fœtus (un cas sur dix), mais surtout qu’apparaissaient (entre 30% à 40%) des troubles neurocomportementaux chez les enfants dont la mère en avait pris durant la grossesse.

«Catastrophe gigantesque»

Lors de ces rencontres, beaucoup d’enfants ou adolescents sont là. On les reconnaît tous, ils ont un visage un rien marqué. Ce n’est pas la France des riches, c’est la France de tous les jours, celle qui se débat avec des problèmes quotidiens de handicaps, d’écoles, ou d’indemnisation qui ne vient toujours pas. Une femme, à l’air fatigué, interroge : «Il ne faut pas prendre de la Dépakine pendant une grossesse, mais pour les femmes épileptiques qui sont résistantes aux autres molécules, qui n’ont pas d’alternatives médicamenteuses, comment peut-on faire ? Est-ce que ces femmes ne pourraient pas être prioritaires pour l’adoption d’enfants ?» Marine Martin écoute. «Je ne crois pas. On ne va pas faire une priorité pour les « femmes Dépakine », plutôt que pour les femmes qui n’ont plus d’utérus, ou qui ont eu un cancer», répond-elle avec bon sens.«La catastrophe est gigantesque», reprend un peu pus tard Marine Martin. Une étude réalisée par l’épidémiologiste Catherine Hill,en avril 2017, estimait que 14 000 personnes ont présenté des atteintes causées par l’exposition in utero au valproate de sodium. Pour y parvenir, la chercheuse s’est basée sur les données disponibles (ventes du médicament depuis 1983, nombre de grossesses et de naissances de 2007 à 2014). Elle avait ensuite extrapolé pour l’ensemble de la période.

«Décisions européennes»

Des chiffres à faire frémir, mais encore non officiels. Ce samedi, on devait avoir les résultats d’une étude, celle-là tout à fait officielle et complète, faite entre 2011 et 2017 par l’assurance maladie, pour laquelle tous les enfants nés entre ces deux dates et dont la mère a pris ce médicament auraient été comptabilisés et examinés. Une étude extrêmement attendue, au point que lors de ce colloque devait venir le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le directeur général de la Santé (DGS) et enfin, le directeur de l’assurance maladie. Pour des raisons peu claires, la publication des résultats de cette étude a été repoussée à la fin du mois de juin, et seul le directeur de l’ANSM, Dominique Martin, est venu.Ce dernier a voulu rappeler que depuis au moins trois ans, les autorités ont agi au mieux pour alerter au maximum les dangers du valproate chez les femmes enceintes : «Cela ne pouvait être que des décisions européenneset la France a été en pointe.» Mais n’était-ce pas bien tard ? L’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un rapport en février 2016, a souligné les retards dans l’alerte des autorités sanitaires, pointant le lobbying efficace du laboratoire-producteur, qui n’est autre que le fleuron de l’industrie française, Sanofi. En tout cas, depuis 2015, le nombre de femmes en âge de procréer à prendre de la Dépakine a très fortement diminué. «Nous restons néanmoins à un niveau trop élevé, a précisé ce samedi Dominique Martin. On ne peut pas, pour autant l’interdire, car c’est un bon médicament, même s’il faut l’interdire pendant toute grossesse.»Interrogé sur les chiffres prochains de l’assurance maladie, Dominique Martin a déclaré bizarrement qu’il ne fallait pas en attendre grand-chose. Et que les grandes tendances, déjà connues, des effets secondaires devraient être confirmées. En somme, on s’oriente bien vers au moins 10 000 enfants touchés. La chercheuse Catherine Hill, pour sa part, a présenté une recension inédite sur tous les antiépileptiques, travail effectué à partir des dizaines d’études déjà publiées dans le monde. Son analyse indique très clairement que le valproate est l’antiépileptique le plus dangereux pour la grossesse, multipliant par trois le risque de malformations.

Sanofi refuse d’assumer la moindre responsabilité

«Aujourd’hui, nous avons plus de 150 dossiers devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), une dizaine est au stade de l’expertise, et l’on espère les premières propositions d’indemnisation à l’automne», a détaillé, pour sa part Charles-Joseph Oudin, avocat de l’Apesac. L’indemnisation est aujourd’hui le volet le plus délicat. Sanofi refuse toujours d’assumer la moindre responsabilité, et se retourne même contre l’Etat, comme lorsque l’entreprise a été condamnée, devant la cour d’appel d’Orléans, en décembre : elle estime avoir suivi toutes les réglementations en vigueur et a décidé de se pourvoir en cassation.Quant aux enfants Dépakine, ils vivent comme ils peuvent, avec des handicaps variés, certains très lourds. Pour une grande majorité des parents, ils n’ont appris que tardivement les raisons des particularités de leurs enfants. «Battez-vous, leur a répété Marine Martin. On ne nous donne rien, battez-vous pour avoir des aides, et surtout ne les faites pas sortir du circuit scolaire classique.»(1) Le valproate est la molécule de base. Le médicament s’appelle la Dépakine, pour le traitement de l’épilepsie, et la Depakote pour le traitement des troubles de l’humeur.Eric Favereau

Source : Libération 

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