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Dépakine, qui doit payer ?

Libération 

 

Le laboratoire Sanofi qui fabrique ce médicament contre l’épilepsie et les troubles de l’humeur, dangereux pour les femmes enceintes, refuse toujours d’indemniser les victimes.

Marine Martin est inquiète. Elle qui préside l’Apesac, l’association des victimes de la Dépakine, ce médicament largement prescrit contre l’épilepsie mais aussi contre les troubles de l’humeur, certes efficace mais dangereux pour le fœtus si la femme qui en prend est enceinte, se dit que rien n’est jamais acquis. Certes, les effets nocifs de cette molécule sont bien reconnus, et désormais il y a un pictogramme explicite pour avertir les femmes enceintes du danger. Certes encore, un fonds d’indemnisation a été créé pour les victimes, mais voilà que tout paraît figé. Le laboratoire-fabricant, Sanofi, ne veut reconnaître aucune responsabilité. Et les pouvoirs publics semblent enclins à ne pas brusquer ce fleuron de l’industrie française. «En novembre, j’ai vu la ministre de la Santé, elle nous a tenu des propos vagues, rappelle Marine Martin. Aujourd’hui, je suis choquée que ce soit nous, les Français, qui payions, et non l’industriel, alors qu’il est responsable. Or aucune consigne n’a été donnée à l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux) pour payer, et se retourner contre Sanofi. C’est honteux !»

De fait, dans ces affaires sanitaires où plusieurs centaines de personnes sont victimes, la question de qui va paye est vite centrale. Est-ce l’Etat ou le labo qui doit indemniser ? Le valproate de sodium, la molécule de base, est commercialisé depuis 1967. «La Dépakine et ses dérivés ont provoqué depuis 1967 des malformations congénitales graves chez 2 150 à 4 100 enfants dont la mère a été traitée pendant la grossesse»,selon une première évaluation de l’Agence du médicament ainsi que l’Assurance maladie. Mais en prenant en compte les enfants souffrant de retard de développement (troubles autistiques, psychomoteurs, etc.), il pourrait y avoir 14 000 victimes, selon l’épidémiologiste Catherine Hill. Devant ce drame aux dimensions importantes, une organisation d’indemnisation a été mise en place, sous l’égide de l’Oniam, par un décret publié en mai 2017, avec d’abord, un collège d’experts chargé d’instruire les demandes puis un comité d’indemnisation. Parallèlement à ces demandes d’indemnisation devant l’Oniam, le scandale du valproate fait logiquement l’objet de plusieurs procédures judiciaires : une action de groupe visant Sanofi Aventis, une enquête pénale et des procédures civiles individuelles. «Aujourd’hui, nous avons déposé plus de 80 dossiers devant l’Oniam d’enfants touchés et près de 200 dossiers de proches touchés», explique Charles Joseph-Oudin, avocat de l’Apesac, à l’origine de l’action de groupe.

Normalement, à la fin du processus d’indemnisation, la règle est que l’Oniam paye ou avance l’indemnisation mais elle doit se retourner contre le responsable s’il y en a un, en l’occurrence contre le labo, comme cela s’est fait avec Servier dans l’affaire du Mediator. «Un budget a été affecté à la réparation des victimes car selon la Cour des comptes, il faut prévoir autour de 70 millions par an dès 2018», avait en novembre dernier expliqué la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ajoutant : «Il ne s’agit pas de payer à la place des fautifs mais de faciliter la vie des victimes en leur permettant une indemnisation plus simple et plus rapide.»

Mais est-ce bien sûr ? Selon plusieurs sources, les pouvoirs publics n’ont, depuis, donné aucune consigne. Et ainsi ils n’ont toujours pas demandé à l’Oniam de se retourner contre Sanofi. «C’est incompréhensible, d’autant qu’un jugement en appel à Orléans a clairement mis en cause Sanofi»,poursuit Marine Martin. En décembre dernier en effet, la cour d’appel d’Orléans a établi dans un dossier la responsabilité de Sanofi, en le condamnant au civil pour la «défectuosité de son produit», ledit laboratoire devant «indemniser les dommages subis par une famille du fait de l’exposition in utero d’un enfant au valproate de sodium».Pourtant, Sanofi fait le dos rond, répétant qu’il a toujours strictement respecté les consignes sanitaires, en particulier celles de l’ANSM (agence nationale de sécurité des médicaments). Et donc pour l’industriel, s’il y a un responsable, regardez plutôt vers… les pouvoirs publics. 

Dans ces conditions, pourquoi diable les pouvoirs publics tardent-ils à se retourner contre Sanofi ? D’autant que la Cour des comptes a épinglé récemment l’Oniam concernant son manque d’enthousiasme pour recouvrer ses créances ; car normalement, après s’être substitué à un assureur défaillant pour indemniser une victime, l’établissement doit se faire ensuite rembourser. «Les démarches qu’il engage à cet effet sont tardives ou inexistantes, à l’issue d’une procédure d’indemnisation qui dure plusieurs années, procurant ainsi un avantage de trésorerie aux assureurs et augmentant les risques d’oubli de mise en recouvrement effective, en l’absence de tout inventaire des créances», a noté sévèrement la Cour des comptes. 

On en est là. A un moment où la rigueur est de plus en plus difficilement supportée dans le monde de la santé, il est paradoxal que les pouvoirs publics se montrent aussi généreux vis-à-vis d’un grand laboratoire pharmaceutique, fusse-t-il français. 

Eric Favereau

Source : Liberation 

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