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«La Dépakine a rendu mes enfants malades, personne ne m’avait rien dit»

Libération

Rencontre avec des victimes de ce traitement antiépilepique, toujours en vente alors qu’il provoque de graves séquelles sur le fœtus quand il est pris par des femmes enceintes.

 Selon le Canard Enchainé, plus de 10000 femmes auraient pris de la Dépakine, un anti-épileptique accusé notamment de provoquer des malformations chez le foetus, entre 2007 et 2014. Le journal précise que ce chiffre figure dans une étude «alarmante» menée conjointement par l’agence du médicament ANSM et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS). En juillet, Libération publiait une rencontre avec des victimes, que vous pouvez relire ci-dessous.

 

C’est un moment à part. Dans ce lieu singulier qu’est La Chapelle-Montligeon, un hameau perdu dans le Perche où se croisent une énorme basilique et de longs bâtiments sur les côtés, ils sont environ 300 à se retrouver. Un groupe de familles et d’enfants victimes du Depakote (ou Dépakine), ce médicament certes efficace contre l’épilepsie, mais qui se révèle un véritable poison pour le fœtus si la femme est enceinte. Depuis les années 80, plusieurs milliers d’enfants sont ainsi nés en France atteints plus ou moins lourdement (lire Libération du 15 avril). Ce week-end, ces victimes étaient réunies pour l’assemblée générale de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac).

 

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L’ambiance était unique, magnifique aussi. Voilà une petite foule aux visages particuliers. C’est si rare que la maladie marque les visages. «Quand on nous dit que ce n’est pas sûr que nos enfants sont atteints par la Dépakine, regardez-les ! Ils se ressemblent tous», lâche Marine Martin, la présidente de l’association, dans un geste de tendresse. «Nous, on le sait, on le voit, et ce n’est pas un vain mot quand on dit que l’on forme une famille. On est pareil.» A certains moments, cela peut laisser pantois. Ces enfants ou adolescents se ressemblent, en effet. Ils ont un regard plus sombre, un nez un peu plus vaste et légèrement écrasé, la lèvre supérieure très fine. Sans compter, surtout, des troubles du comportement, plus ou moins sévères. Mais là, durant ce week-end, tout s’est effacé, comme dans une parenthèse. Ils étaient ensemble et nul ne s’offusquait de leurs bizarreries. Ils sont entre eux, ils sont chez eux, familles et enfants. Lorsqu’un ado pousse un grand cri lors d’un discours, nul ne se retourne, tout le monde est habitué à ces grains de sable de la vie sociale. Il y a quelque chose d’unique à les voir ainsi : nul ne les exclut, ne les rejette.

 

«Ça me met en colère»

 

Quand on interroge Salomé, 17 ans, sur son handicap, tout n’est pas simple. Elle réfléchit un moment, puis lâche : «C’est compliqué.» Salomé est légèrement atteinte : elle a eu des difficultés de langage et d’apprentissage, mais est aujourd’hui en première S. «C’est compliqué,répète-t-elle. Ça me met en colère quand j’essaye de faire quelque chose et que je n’y arrive pas.» Parfois elle s’isole un peu plus. D’autres enfants sont, eux, beaucoup plus atteints, et un grand nombre d’entre eux sont placés dans des centres spécialisés, les instituts médico-éducatifs, comme Patrick. Il est là dans le jardin, en train de jouer avec sa petite sœur. Leurs parents les regardent tendrement. L’un est né en 2005, l’autre en 2009.

 

A cette époque, les neurologues comme les pédiatres savaient que la Dépakine était lourdement déconseillée aux femmes enceintes. «Ce n’est qu’en 2015 que j’ai compris. C’était en regardant un reportage à la télé sur l’association et sur Marine Martin. C’est là que j’ai découvert que c’était la Dépakine qui avait rendu mes enfants malades, personne ne m’avait rien dit.» Le père, à ses côtés, ne décolère pas : «C’est dingue, quand même, si on avait su, ma femme aurait arrêté la Dépakine, mais non.» Il poursuit : «Quand on a décidé de porter plainte, on nous a dit « ah, vous voulez de l’argent ». Non, ce n’est pas de l’argent que l’on veut, on veut savoir ce qu’on fera avec nos enfants quand on sera vieux.»

 

Hésitations

 

Quelques repères dans ce drame massif, l’un des plus importants de ces cinquante dernières années : le valproate de sodium – molécule de base de la Dépakine – a été commercialisé en 1967 comme antiépileptique par Sanofi, puis son indication s’est élargie au traitement des phases maniaques des troubles de l’humeur. A la différence du Mediator, le valproate a une bonne efficacité. Pour autant, très vite, sont apparus des risques pour le fœtus. «Chez la femme enceinte, les effets tératogènes [produisant des malformations, ndlr] du valproate sont connus depuis le début des années 80, a noté l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport rendu public il y a deux mois sur cette affaire. Dans le courant des années 80 et 90, les publications scientifiques documentent de plus en plus précisément ces malformations congénitales…» D’autres effets graves sur le fœtus vont surgir, notamment des retards mentaux. Mais ces derniers sont détectés plus tardivement, et au début, certains les mettent en doute, prétextant l’état de santé de la mère.

 

Aujourd’hui, ce sont ces effets neuro-comportementaux qui sont massifs. Dans son rapport, l’Igas s’est montré sévère sur la gestion des autorités sanitaires, pointant des retards en série. «Dans les années 2000, en France, la doctrine implicite en matière de notice est de ne pas alarmer les patientes par un message pouvant les conduire à arrêter leur traitement.» Plus loin : «Quand on compare avec les autres pays européens, la France n’est pas au nombre des pays les plus réactifs.»Enfin, «un rôle trop important est laissé aux firmes, à Sanofi en l’occurrence, qui considère encore en mars 2014 qu’aucune mesure de minimisation du risque n’est nécessaire, y compris en matière d’information». Le bilan de ces hésitations est dramatique. Mais le plus inquiétant est de constater que cette histoire aurait pu rester clandestine sans Marine Martin. «Cela est certain, affirme Hubert Journel, médecin à Vannes, qui travaille sur ce domaine depuis trente ans. C’est elle, avec son association, qui a tout fait basculer en le rendant public, autrement cela serait resté un monde invisible.»

 

Marine Martin est infatigable. Elle court dans tous les sens, dévorant une énergie peu commune. Elle ressemble à Irène Frachon, ce médecin qui a dévoilé le scandale du Mediator. Toutes les deux se connaissent, s’apprécient, s’épaulent aussi. «C’est en voyant Irène se battre que je me suis convaincue que l’on pouvait s’attaquer à un laboratoire pharmaceutique», lâche Marine Martin, que rien ne prédestinait à être une lanceuse d’alerte. Cadre à la SNCF, elle ne connaît rien du monde médical. Epileptique depuis l’âge de 6 ans, elle a suivi un traitement au valproate. Pendant ses deux grossesses, elle l’a continué sans qu’aucun médecin ne lui parle des effets secondaires. Ses deux enfants sont nés avec un spina-bifida occulta, une imperfection de la colonne vertébrale. Nathan, l’aîné, est le plus atteint. «Je voulais avoir un troisième enfant, mais j’avais peur d’être atteinte d’une maladie génétique. J’avais lu des articles sur des pesticides qui avaient rendu malades des fœtus. J’ai regardé sur Internet, en tapant « médicament dangereux et la grossesse ». On était fin 2009, et là est apparue la Dépakine.» Le choc. «J’ai compris aussitôt.» Comme une évidence que l’on ne voulait pas voir. Sa réaction ? Une colère sans faille. «Pourquoi m’a-t-on menti ? Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? Mon fils est né plus de vingt  ans après les premières alertes sanitaires.» Elle décide alors de créer, en 2011, l’association qui va tout bouleverser.

 

Autre lieu, autre combat. Celui de Hubert Journel, pédiatre et généticien à l’hôpital de Vannes. Il a fait sa thèse de médecine sur le spina-bifida en 1984. «Les premiers papiers sur le valproate et la grossesse sortent en 1984, je les lis, mais j’étais un peu seul, cela restait quelque chose de peu connu. Et puis cela tombait comme dans un trou, entre pédiatres, neurologues, généticiens.» Le Dr Journel ne désarme pas, se spécialise sur la question, mais rien ne bouge. «En 2005, j’ai fait un topo sur les liens très forts entre valproate et atteintes fœtales devant des responsables de l’Afssaps [l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé], qui allait devenir l’agence du médicament. On me répond : »C’est intéressant, mais vous n’avez pas de preuves. »» Il en sort ahuri. «S’il n’y avait pas eu Marine, cela aurait pu continuer comme cela, dans l’indifférence.»

 

Aujourd’hui, tous deux forment un duo de choc. «Maintenant on en parle, c’est ma plus belle victoire», lâche Marine Martin. Au point que ce week-end, le directeur général de la santé, le professeur Benoît Vallet, est venu à l’assemblée générale. Il a écouté, entendu les difficultés de ses familles – par exemple beaucoup ne sont pas même prises en charge à 100 % par l’assurance maladie -, il a parlé de la mission confiée à deux magistrats pour, éventuellement, créer un fonds d’indemnisation, comme ça s’est fait pour le Mediator. Il a évoqué les études en cours, et le lancement d’un protocole national de diagnostic et de soin, pour arriver à normaliser les diagnostics et les prises en charge. Car dans ce dossier, la grande difficulté est la très grande variété des atteintes. «On dit que 30 à 40 % des enfants nés de mère Dépakine ont des atteintes neuro-comportementales. C’est déjà énorme, mais moi je suis sûr que c’est 100 %», tranche Marine Martin.

 

Responsabilité

 

Sanofi, le fabricant français de la molécule, dégage toute responsabilité dans le drame. «En France, il y a une chaîne d’acteurs. Nous ne pouvons pas décider de notre propre chef», nous avait déclaré son directeur médical. «Sanofi bloque toutes les procédures», rectifie l’avocat Charles Joseph-Oudin, qui a plus de 800 dossiers. Quatre plaintes ont été déjà déposées au pénal, et dans plusieurs procédures. Les expertises ont reconnu clairement le lien entre l’atteinte sur l’enfant et la prise de valproate. Se pose également la question de la responsabilité de ces médecins qui ont continué à prescrire la molécule à des femmes en âge de procréer, et qui continuent encore. Fin juillet, par le biais d’une étude de l’assurance maladie, on devrait connaître les chiffres exacts des prescriptions du valproate depuis vingt ans, ainsi que le nombre d’enfants atteints. Des données qui devraient faire frémir,

 

Source : Libération 

 

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