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Dans la presse en 2016

Santé: la Dépakine, un nouveau Médiator?

Challenges 

Ce traitement contre l'épilepsie peut provoquer des effets secondaires importants pour les femmes enceintes. Le laboratoire Sanofi et les autorité de santé auraient tardé à alerter les patientes, dénoncent les auteurs du livre Effets secondaires, le scandale français.

 

Signé du journaliste d'investigation Jean-Christophe Brisard et de l'avocat Antoine Béguin, avec la participation de la lanceuse d'alerte Irène Frachon, le livre Effets secondaires. Le scandale français, paru jeudi, consacre un chapitre à un médicament devenu la bête noire du Ministère de la Santé ": la Dépakine. Le laboratoire Sanofi et l'Agence du médicament (ANSM) y figurent, sur le banc des accusés.

 

Commercialisé depuis 1967 par le laboratoire Sanofi et vendu par la suite sous forme générique,  la Dépakine (ou valproate de sodium) est un traitement contre l'épilepsie aux effets secondaires terribles pour les femmes enceintes: malformations physiques, retard de développement mental, autisme. Passé dans la liste des médicaments " sous surveillance renforcée " en mai dernier, il est aujourd'hui totalement contre-indiqué aux femmes souhaitant avoir un enfant.  Or, dénoncent les auteurs du livre, tout comme les victimes et leurs avocats, le laboratoire Sanofi et les autorités de santé ont tardé à alerter les patientes. Entre les suspicions et la mise en garde explicite sur les dangers de ce traitement pour le fœtus, près de 30 ans se sont écoulés. Une inertie qui rapproche l'affaire de l'autre grand scandale des années 1990, le Médiator.

 

Profondes différences

 

A priori, ces deux affaires n'ont rien à voir. Elles s'opposent même par de profondes différences. D'abord, parce que l'efficacité thérapeutique de la Dépakine, qui traite une affection très grave, potentiellement mortelle, ne fait aucun doute. " Contrairement au Médiator, la Dépakine est un excellent médicament contre l'épilepsie, nous ne le remettons pas du tout en question ", souligne d'ailleurs l'auteur du livre, Jean-Christophe Brisard. Ensuite, ce traitement a été prescrit aux patients dans son indication, ce qui n'avait pas été le cas du Médiator.

 

Pourtant, au-delà de ces disparités, les avocats et les victimes, eux, n'hésitent pas à faire le parallèle avec le Médiator. Dans les deux cas, soulignent-ils, le laboratoire et les autorités de santé n'ont pas appliqué le principe de précaution qui aurait dû les inciter à alerter dès qu'ils ont eu des suspicions. " Le laboratoire avait les moyens de savoir que la grossesse était une contre-indication absolue pour ce médicament dès la fin des années 1980 et le devoir d'en informer les patients "tacle Charles Joseph-Oudin, l'avocat de l'association d'Aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsivant (Apesac), une association regroupant plus de 500 familles et de 1.000 enfants victimes.

 

" Le caractère tératogène du médicament est démontré sur la femme dès 1982", écrit Jean-Christophe Brisard. Quant aux effets sur le cerveau (les troubles neuro-développementaux), ils sont signalés par des médecins français dans des revues scientifiques ou des colloques dès la fin des années 1990.

 

La question de l'information des effets secondaires 

 

Or, les notices aux patients passent sous silence ces effets secondaires pendant près de trois décennies, le rôle d'alerte étant réservé strictement aux médecins prescripteurs, qui dès 1986 sont prévenus de risques de malformations. De 1986 à 1995, la notice du médicament se contente d'un: " prévenir votre médecin si vous êtes enceinte "Il faut attendre 2006 pour que la grossesse soit déconseillée, sans expliciter les risques auxquelles s'exposent les femmes. Et mai 2015 pour qu'ils soient explicités clairement. " Dire qu'un médicament est déconseillé en cas de grossesse n'a rien à voir avec le fait de prévenir une femme qu'elle a une chance sur deux de mettre au monde un enfant autiste ", s'indigne maître Joseph-Oudin. Les informations sont

 

Un argument que réfute le laboratoire Sanofi. Celui-ci affirme n'avoir eu les preuves scientifiques des effets secondaires de la Dépakine que tardivement, au début des années 2000. Le rapport de l'IGAS souligne que  " La mention des retards de développement n'est apparue dans le RCP (Résumé des Caractéristiques du Produit) français qu'en 2006, alors que le laboratoire l'avait proposée dès 2003 et que [la demande de modification du Laboratoire] a été retenue par d'autres pays dès 2003-2004 ". " Un laboratoire pharmaceutique est très encadré, il n'a pas le droit de faire de la communication directement auprès des patients sur les médicaments nécessitant une prescription ", précise Pascal Michon, directeur médical de Sanofi France. 

 

Une réaction qui rapproche, là encore, l'affaire de la Dépakine de celle du Médiator, estime l'avocat des familles,  " Dans les deux cas, le laboratoire se cache derrière les autorités de santé. Or, une autorisation de mise sur le marché n'exonère pas les laboratoires de la responsabilité d'informer les patients. La jurisprudence est très claire à ce sujet", souligne l'avocat.

 

Des lanceurs d'alerte tenaces

 

Dernier point commun, l'affaire a éclaté grâce à la ténacité de lanceurs d'alerte. Dans le cas du Médiator, ce rôle avait été joué par le médecin pneumologue Irène Frachon. Pour la Dépakine, il a été assumé par Marine Martin, présidente de l'Apesac, atteinte d'épilepsie et mère de deux enfants malades. Neuf ans après la naissance de son fils, elle découvre en cherchant sur Internet le lien entre les problèmes de ses enfants et le traitement qu'elle prenait depuis 30 ans. Depuis, elle n'a de cesse de fédérer et informer les parents. C'est grâce à elle, précise Jean-Christophe Brisard, que la ministre de la Santé a demandé l'ouverture d'une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales. Dans un rapport publié le 23 février, celle-ci conclut à " une certaine inertie des autorités sanitaires, de l'agence européenne et des laboratoires en matière d'information des prescripteurs comme des patientes ".

 

" La Dépakine, c'est le Mediator en pire car ici les victimes sont des enfants. Depuis trente ans, combien de bébés ont été concernés? Des dizaines, des milliers? ", écrit Jean-Christophe Brisard à la fin du chapitre consacré à ce médicament. Dans tous les cas, la prise de conscience par l'opinion publique et les familles ne fait que commencer. En l'espace de quelques mois, Charles Joseph-Oudin a reçu le dossier de quelque trois cent familles, représentant environ 800 enfants.  Lundi 7 mars, la ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé la création d'une filière pour diagnostiquer et prendre en charge les enfants victimes de la Dépakine.

 

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Source : Challenges