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Malformations, handicaps… J’ai 3 « enfants Dépakine » : il n’y a pas que 450 victimes

Le Nouvel Obs

 Ce témoignage, initialement publié le 28/02/2016, a été mis à jour le 10/08/16 suite à une enquêtepubliée par « Le Canard enchaîné ». 

 LE PLUS. Au moins 450 malformations congénitales à la naissance seraient dues au médicament Dépakine, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)Une enquête du « Canard enchaîné » va plus loin : cet antiépileptique aurait été prescrit à plus de 10.000 femmes entre 2007 et 2014. Témoignage de Laurence Blanchard, déléguée régionale de l’Apesac et mère de trois « enfants Dépakine ».

 

J’ai commencé à prendre de la Dépakine à 11 ans, pour des absences dues à mon épilepsie, et ce jusqu’à 35 ans, âge auquel j’ai pu mettre en place l’arrêt de ce traitement avec un neurologue. Entre temps, j’ai eu trois enfants : Lisa, née en 1994, Lucas, né en 1998 et Loïc, né en 1999. Durant ces trois grossesses, aucun médecin ne m’a avertie des éventuels effets secondaires de la Dépakine sur le fœtus.

 

Les seules conséquences à propos desquelles on m’a mise en garde, de manière extrêmement mesurée ? De possibles malformations comme le spina-bifida, ou le bec de lièvre, mais qui se voyaient à l’échographie. Elles seraient constatées suffisamment tôt pour me laisser le choix d’avorter, je serai bien encadrée et surveillée : en somme, aucune raison de m’inquiéter.

 

L’état de santé très préoccupant de mes trois enfants m’a pourtant montré le contraire au fil des années… Ce n’est que l’année dernière que j’ai pu mettre des mots sur leurs maladies. 

 

Lisa un trou dans la colonne vertébrale

 

Lisa, elle, ne présentait aucun signe de malformation particulière au début. Nous nous sommes rendus compte qu’elle avait une voix rauque – tout le monde la surnommait Tina Turner – puis, lorsqu’elle est rentrée en école primaire, les difficultés ont démarré. Les devoirs étaient très difficiles, Lisa avait beaucoup de mal à se concentrer.

 

À 15 ans, elle a commencé à avoir des problèmes digestifs. Lors du rendez-vous médical qui s’en est suivi, les explications données par le gastro-entérologue à ma fille m’ont laissée bouche bée : selon lui, c’était parce que je la nourrissais mal, que « les femmes contemporaines », très prises par leur travail, stressaient leurs enfants et n’avaient pas le temps de s’en occuper. Et point culminant : qu’en Afrique, les  enfants n’avaient pas de problème digestif… Ce « médecin » a même incité ma fille à porter plainte contre moi. Bien sûr, on ne l’a jamais revu…

 

Après avoir vu d’autres spécialistes, Lisa a pris plein de traitements et a fini par être opérée. Malgré ça, ses problèmes au niveau des sphincters se sont accentués. Un chirurgien nous a expliqué que cela était fréquent chez les femmes, parce que « stressées »… Heureusement que l’on était deux pour lui tenir tête !

 

Finalement, c’est en faisant des recherches seule sur internet l’année dernière, notamment sur le site de l’Apesac – association à laquelle j’ai ensuite adhéré – que j’ai commencé à faire le lien entre la Dépakine et ses problèmes de santé.

 

Lorsque j’ai commencé à en parler à des médecins, ces derniers rejetaient mes arguments en bloc. Ma fille avait pourtant une malformation au niveau de la colonne vertébrale, que je soupçonnais d’être liée au spina-bifida occulta. J’ai demandé de nouveaux examens pour ma fille. On m’a ri au nez. Pourtant, ces derniers ont par la suite montré que ma fille avait un trou dans la colonne vertébrale…

 

Lucas a un chromosome surnuméraire et une duplication

 

Lucas, lui, avait un visage bizarre lorsqu’il est né. Il ne réagissait pas aux bruits, ne parlait pas et ne montrait aucune émotion. Si bien qu’on a dû lui apprendre à exprimer ses émotions sur son visage. Il était également très sujet aux infections des bronches et de la peau. Le médecin m’a répondu que ça lui passerait, que je devais le laisser grandir…

 

Arrivé en maternelle, l’institutrice m’a convoquée, pensant que Lucas était autiste. Nous avons alors enchaîné les rendez-vous médicaux, qui n’aboutissaient à rien. 

 

Nous avons fini par consulter un généticien, qui a observé que Lucas avait un chromosome surnuméraire et une duplication. Je l’ai interrogé :

 

– Mais vous ne pensez pas que cela peut avoir un lien avec la Dépakine ?

– Non non, pas du tout. 

 

Quant à mon médecin généraliste, il  m’a expliqué qu’il s’agissait du « chromosome du criminel », que de nombreux détenus avaient. Mon fils, de trois ans seulement, était-il donc condamné à devenir un criminel ? En me renseignant, notamment auprès de l’Alliance maladies rares, j’ai décidé de ne plus le voir car il avait tenu des propos très graves.  

 

Au fil du temps, les difficultés scolaires de Lucas se sont aggravées. Je me suis tournée vers plusieurs associations spécialisées dans des maladies et handicaps particuliers : une pour la trisomie, une autre pour l’épilepsie, puis l’autisme, l’hyperactivité… Je n’ai retrouvé mon fils dans aucune d’entre elles.

 

Alors qu’il était en CE1 en Clis, classe pour l’inclusion scolaire, sa scolarité a été arrêtée en milieu d’année parce que l’institutrice ne réussissait plus à le gérer.

 

À 9 ans, Lucas a fini en hôpital de jour et nous cumulions les rendez-vous : psychomotricienne, orthophoniste, podologue, psychologue, psychiatre, neurologue, généticien, kiné… Un emploi de temps de ministre !

 

À 13 et 14 ans, Lucas a dû faire deux séjours de plusieurs semaines en hôpital psychiatrique. Voir mon fils dans un tel établissement a été très dur, je voyais très bien qu’il n’y avait pas sa place. Il y a été shooté aux médicaments, je ne le reconnaissais plus.

 

Il ne goûtera jamais au plaisir de prendre son vélo pour aller voir son copain… en revanche, il connaît les samedis après-midi à attendre des amis qui ne sont jamais venus…

 

Loïc a de gros problèmes respiratoires

 

Loïc, lui, est né en août 1999. À partir de septembre, il a dû être hospitalisé tous les mois  à cause de gros problèmes respiratoires. Il a passé un examen à 9 mois, qui, selon les médecins, n’a rien montré d’alarmant.

 

Lorsque j’ai demandé ses dossiers médicaux, j’ai compris que 50% des cils de ses bronches étaient inexistants, et que sur les 50% restants, la moitié ne fonctionnait pas.

 

Résultats des examens : j’ai trois « enfants Dépakine »

 

L’an dernier, nous avons décidé d’aller dans le nord de la France voir un généticien spécialisé dans les pathologies des « enfants Dépakine ». Je pensais au départ que seul Lucas pouvait être touché. J’en suis finalement revenue avec trois « enfants Dépakine ».

 

Les examens ont montré que Lisa avait une dysraphie évolutive, donc un spina-bifida occulta et que Lucas, désormais handicapé à 80%, avait une microcéphalie et un problème au niveau de la colonne vertébrale. Quand nous sommes allés voir un spécialiste pour Lucas, on nous a répondu que l’on s’y prenait trop tard… Il prend aujourd’hui de nombreux traitements contre son épilepsie pharmaco-résistante et ses troubles du comportement, plus d’autres médicaments contre les effets secondaires des traitements… Le comble : un tiers de ces médicaments est produit par le laboratoire qui l’a rendu handicapé.

 

Loïc, quant à lui, a fait une dyskinésie ciliaire primitive, soit une maladie respiratoire rare, ainsi qu’une hyperlaxité ostéo-articulaire, une atrophie cutanée au niveau du dos et une scoliose, que nous devons surveiller. Il doit porter un corset.

 

450 malformations dues à la Dépakine ? Non, beaucoup plus !

 

Aujourd’hui, seul le généticien spécialisé que nous voyons dans le nord de la France fait le lien de ces pathologies avec la Dépakine. Lisa, Lucas et Loïc sont pourtant loin d’être des cas isolés.

 

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), rendu public le 23 février dernier, fait état de 450 malformations congénitales dues au médicament. Or il ne prend en compte que les malformations qui concernent les naissances ayant eu lieu entre 2006 et 2014. Entre ces dates-là, nous estimons plutôt que le nombre d’enfants touchés chaque année est de 400.

 

Nous avons comptabilisé 1049 « enfants Dépakine » à l’Apesac (le plus jeune n’a que quelques mois), dont 169 sont décédés. Marine Martin, présidente de l’association, estime que, depuis 50 ans que ce médicament est prescrit, il y aurait 30.000 enfants touchés. 

 

Les premières études montrant les effets secondaires du médicament sur le fœtus datent de 1982 et rien n’a été fait depuis ! Les laboratoires, les médecins, les agences de santé et les politiques ont tous leur part de responsabilité.

 

L’errance de diagnostic et la culpabilisation des familles sont insupportables. Combien de fois m’a-t-on dit que j’étais une mauvaise mère, que mes enfants étaient des fainéants ?

 

Le rapport de l’Igas ne doit pas rester sans suite. Nous continuerons à nous battre pour qu’un centre de diagnostic soit créé. Nous continuerons à nous battre pour que le protocole de délivrance en dernier recours (c’est-à-dire en cas d’échec des autres traitements) de ce médicament aux femmes en âge de procréer soit respecté. Nous continuerons à nous battre pour que les familles soient aidées dans la prise en charge de leurs enfants. Mais en attendant, ce sont bien ces derniers qui pâtissent de ce scandale pharmaceutique.  

 

Source :  Le nouvel Obs 

 

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